Une entreprise familiale

Les artistes Hélène Feillet (1812-1889) et Blanche Feillet-Hennebutte (1815-1886) ont eu, en la personne de leur père le peintre Pierre Feillet, le même maître. Hélène, qui expose au Salon de 1836 à 1848, acquiert une certaine notoriété de peintre et dirige l’école de dessin de Bayonne où elle succède à son père. A Bayonne, elle reste connue pour son tableau L’arrivée à Bayonne de M. le duc et Mme la duchesse d’Orléans (1839), huile sur toile exposée dans les salles permanentes du Musée Basque. Blanche, de plus modeste réputation, se spécialise pour sa part dans la réalisation de lithographies (paysages et vues d’architecture), métier que sa sœur Hélène pratique également.

Dans les années 1840-1850, les deux sœurs cheminent ensemble à la découverte des paysages, des villes, des villages, et des habitants des Pays basques Nord et Sud. Lors de ces excursions, elles dessinent sur le motif. Ces esquisses fournissent les modèles à des lithographies qui paraissent dans les années 1850 chez Charles Henri Hennebutte, l’époux de la cadette, imprimeur et éditeur à Bayonne. Le recueil intitulé L’Album des deux frontières est constitué de lithographies de Blanche et donne à voir les villes et monuments remarquables des Provinces Basques et notamment du Labourd et de Guipuzcoa. Ce recueil connaît de multiples rééditions dont l’une est agrémentée d’un texte de Charles Hennebutte proposant des notices historiques et une description des lieux représentés(1). Les deux sœurs participent ensemble à une Description des environs de Bayonne puis au Guide du voyageur de Bayonne à Saint-Sébastien. Ces ouvrages reprennent quelques-unes des lithographies parues dans L’Album des deux frontières. Elles sont complétées par un texte de Charles Hennebutte qui, en plus de proposer des clés historiques, présente des anecdotes sur les manières de vivre, et donne des conseils aux voyageurs en leur faisant partager sa propre expérience. L’ensemble est augmenté d’œuvres d’Hélène Feillet figurant en vignettes dans le corps du texte et faisant écho au récit des aventures et à l’invitation que nous fait Charles à goûter aux surprises que recèle tout voyage.

L’entreprise de lithographie et d’édition du couple Hennebutte à laquelle Hélène prête main-forte, s’inscrit dans le contexte des prémices du tourisme en Pays basque au milieu du XIXe siècle(2). Le couple tire ses revenus d’une économie touristique naissante. Charles vend ses guides aux voyageurs qui font escale à Bayonne. Les publications sont riches de conseils. Elles plaisent aussi parce qu’ils fournissent le modèle d’une rhétorique propre au récit de voyage que chacun pourra s’approprier. Elles plaisent enfin car deviennent à l’issue du périple son objet souvenir.

Hélène, Blanche et Charles sont des guides dont les manières de voir, les préoccupations et les conseils reçoivent un accueil d’autant plus favorable qu’ils correspondent aux attentes d’une clientèle bourgeoise dont ils connaissent les codes culturels. Bien que vivant en Pays basque, ils ne partagent pas les modes de vie des populations rurales et littorales, des paysans, montagnards et pêcheurs. Ils en sont aussi éloignés que les bourgeois et aristocrates en villégiature sur la côte basque. En ce XIXe siècle, se révèle un fort intérêt pour un exotisme à portée de vue que partagent voyageurs, étrangers en villégiature et bourgeois des villes, y compris ceux de la région. Ces derniers sont friands d’histoire locale et de représentations du costume notamment(3). C’est aussi à eux, érudits et collectionneurs, que s’adressent ces publications. En octobre 1851 paraît la première livraison du recueil intitulé Les Provinces Basques Illustrées, Vues et Costumes, auquel collaborent une fois encore les deux sœurs. Publié en quarante livraisons, à raison d’une ou deux par semaine, il répond à cet engouement pour la constitution de collections. La souscription qui engage l’une et l’autre parties, garantit à l’amateur la possession d’un ensemble complet tout en constituant pour l’éditeur l’assurance d’une entreprise économiquement viable.

(1) Non daté, L’Album des deux frontières est publié à de multiples reprises et ses éditions sont presque toutes différentes

(2) La lithographie, qui apparaît dans les dernières années du XVIIIe siècle, est une technique d’impression à plat, réputée plus aisée que la gravure, et qui permet la reproduction à grande échelle et à bon prix d’images dessinées. Elle illustre les nombreux recueils de récits de voyages qui sont en vogue à partir des années 1820 dont le célèbre Voyages Pittoresques et romantiques dans l’ancienne France du Baron Taylor et Charles Nodier. L’invention de la lithographie, qui a permis des publications à moindre coût, a bénéficié aux publications touristiques.

(3) La tradition des atlas et livres de costumes existe depuis le XVIe siècle. Le musée Basque conserve notamment des estampes du vénitien Enea Vico (1523-1567) représentant les costumes des femmes de Saint-Jean de Luz. Cette tradition se développe beaucoup au milieu du XVIIIe siècle (les artistes dessinent des séries constituant des répertoires pour les peintres ou qui sont destinés à être gravés pour les collectionneurs). Mais, c’est surtout les années 1820-1840 qui constituent l’âge d’or du costume régional.

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